"Caramel", film doux-amer sur des femmes beyrouthines Ca ne se mange pas, même si la lumière dorée des images laisse imaginer l'odeur douce que dégage la cuisson du sucre et du jus de citron. Ce caramel est l'instrument d'une nécessaire souffrance, il sert de produit dépilatoire dans un salon de beauté, à Beyrouth.
Pour son premier film, la jeune (34 ans) cinéaste libanaise Nadine Labaki a donc trouvé un refuge qui a déjà servi à George Cukor (Femmes, 1939) et à Tonie Marshall (Vénus Beauté, 1999). Mais dans cette ville-là, ce pays-là, les clientes du salon de Jayale - la réalisatrice tient ce rôle central - ont encore plus besoin d'un havre de paix que les mondaines new-yorkaises ou les Parisiennes.
Même si la guerre passée (le film a été tourné début 2006, avant l'intervention et les bombardements israéliens) est tenue à l'écart du récit - il n'y est même pas fait allusion -, le poids de ce qu'il est convenu d'appeler la tradition est omniprésent dans la vie des femmes, préjugés chrétiens ou préceptes de l'islam se rejoignent pour les maintenir dans la servitude. Tout le film est propulsé par cette contradiction entre la douceur des moments et la douleur de la vie, déclinée cinq fois en autant de destins de femmes. Jayale, femme libre, de confession chrétienne, patronne de sa propre affaire, habite quand même chez ses parents et vit dans la soumission une liaison sans issue avec un homme marié ; son employée, Nisrine, musulmane, est fiancée à un garçon qu'elle aime, mais elle n'est plus vierge ; Rima, la shampouineuse ne peut vivre son homosexualité ; Jamale, cliente quinquagénaire, tente de relancer sa carrière d'actrice après son divorce ; Rose, la voisine couturière, a dix ans de plus et a passé sa vie à s'occuper d'une soeur aînée qu'une mystérieuse histoire d'amour a laissée folle.
ELÉGANCE SENSUELLECet entrecroisement de destins est un procédé convenu, et cette convention menace parfois la vivacité de Caramel. Le scénario dose avec un peu trop d'habileté séquences comiques et tragiques, moments de désespoir solitaire et explosions de joie conviviales. Ces péchés restent véniels au regard de l'élégance sensuelle de la mise en scène. Servi par une belle lumière (Yves Sehnaoui), qui célèbre aussi bien la beauté des actrices qu'elle prend en compte la misère qui menace partout la splendeur beyroutine, bercé par une musique élégamment sentimentale (de Khaled Mouzanar), Caramel trouve un rythme singulier qui mêle intimement la vivacité à la pesanteur du temps qui passe.
Les trajectoires des cinq femmes se déploient avec une grâce un peu languide, et dans les intervalles qui séparent les quelques morceaux de bravoure comique (Jayale préparant la chambre d'hôtel miteuse qui doit abriter ses amours), s'insinuent le désespoir et la frustration qui font ombrage à ces vies.
Pour ces cinq rôles, Nadine Labaki a choisi des femmes qui n'étaient pas actrices. Ou qui ne savaient pas qu'elles étaient actrices. Car il n'y a rien de naturaliste dans leur façon de jouer, excessive, démonstrative et séduisante. C'est aussi ce quintet qui fait de Caramel un moment à part.
Le Monde